jeudi 10 mai 2007

Critique - Volver (P.Almodovar) - Bérangère



Raimunda vit à Madrid avec son compagnon Paco, et sa fille de 14 ans, Paula. Par un jour de grand vent, elle se rend dans son village natal avec sa sœur Sole pour entretenir la tombe de ses parents, morts trois ans auparavant dans un incendie. Elle en profite pour rendre visite à sa tante Paula qui perd un peu la tête. Quelques jours plus tard, Sole appelle : la tante Paula est morte. Au même moment à Madrid, Paula, la fille de Raimunda, tue d'un coup de couteau Paco qui tente d'abuser d'elle. À la suite de ces deux morts, la vérité sur le passé va peu à peu se faire jour.

La trame principale du scénario reprend celle de son film de 1984 ¿Qué he hecho yo para merecer esto!
Almodovar glisse toujours la citation d'un film à lintérieur de ces films, un hommage à sa passion cinématographique. Dans Volver, il s'agit de la scène où Irene regarde la télévision alors qu'elle veille Agustina mourante: on y voit un extrait de Bellissima, film de Luchino Visconti. Cet extrait montre un père qui prend sa fille sur ses genoux et lui raconte une histoire alors que la mère, jouée par Anna Magnani (l'actrice fût abandonnée par sa mère à la naissance), se recoiffe dans une pièce attenante: "Salut ma jolie! Donne un bisou à papa! Maddalena! T'ai-je déjà raconté l'histoire de Pinocchio? Ce garçon menteur qui avait le nez qui poussait dès qu'il disait un mensonge et les mensonges qu'il disait à son père, un petit vieux qui faisait des marionnettes?". Raimunda revient vers sa mère juste après cet extrait.

L'inceste est le thème qui constitue le fil rouge de Volver, avec la tentative de viol de Paco, le mari de Raimunda, sur leur fille Paula, dont on apprendra à la fin qu'elle n'est en fait pas la fille biologique mais le résultat d'un inceste entre Raimunda et son père. Ce fil rouge est d'ailleurs marqué par la couleur rouge qui revient souvent dans le film: le sang de Paco; la voiture de Sole qui leur permet de voyager de Alcanfor de las Infantas, lieu de l'inceste de Raimunda, à Madrid, lieu de l'inceste de Paula; les vêtements de Raimunda et Paula (ainsi que d'Emilio) le jour de l'inceste subi par cette dernière; le bus qui ramène Raimunda et qu'attend sa fille Paula, comme si celui-ci véhiculait l'inceste de la mère vers la fille; le congélateur rouge dans lequel Raimunda entrepose Paco...

Dans cet univers exclusivement féminin, dont les hommes sont violemment rejetés,
Almodovar poursuit le questionnement sur la filiation et la mort dont rend compte son cinéma, progressivement purgé du principe masculin et de la sexualité.Demeure dans Volver, à défaut de l'exubérance sexuelle, hystérique et électrique de ses premiers films, une exubérance plus mûre, celle des sentiments, et de la narration dans quoi P. Almodovar est passé maître. Si l'histoire est parfaitement abracadabrante, l'enchaînement des faits et des circonstances, lui, est impeccable, l'ambiguïté savamment maintenue entre fantastique et réalisme, film noir ou fleur bleue. La force des sentiments, la propension aux gros plans de visages de femme éplorée, pour exagérées qu 'elles soient, sont le fruit de cette histoire, et s'en accommodent habilement. Le film ne donne donc jamais l'impression d'être ironique à l'égard de ces sentiments exacerbés. Il est pourtant plein d'humour, mais d'un humour premier degré, bienveillant, auquel on adhère de bon gré (ainsi du retour de la mère, trahi par l'odeur de ses pets), un humour noir bon enfant.Cette légèreté, mêlée aux thèmes graves du meurtre et de l'inceste, semble être ce qui permet de les interroger avec plus de profondeur. Un film magnifique donc, parce qu'il fait tomber nos contemporains réflexes à ne goûter que l'ironie et le cynisme.


Bérangère Forro 6E