samedi 15 mai 2010

Critique - "Une étreinte brisée en vaut elle deux ?", par Delmotte C.


Après la sortie de Volver, présenté il y a trois ans à Cannes, le cinéaste espagnol avait promis de gagner des territoires nouveaux, évoquant tour à tour un film en costumes, une histoire politique et la biographie d'un personnage historique. Et voici Etreintes brisées, avec Pénélope Cruz, Lluis Homar et Blanca Portillo, mélodrame noir dans lequel les familiers se sentiront chez eux : metteur en scène pris au piège de la fiction, mère possessive d'un bel adolescent, amour brisé par un accident de voiture et même l'intégralité d'une séquence de Femmes au bord de la crise de nerfs.


Le point de départ du scénario est un homme mentalement blessé. Quatorze ans auparavant, il a eu un violent accident de voiture, dans lequel il a perdu la vue et dans lequel sa femme Lena est morte. Cet homme a deux noms : Harry Caine, pseudonyme ludique sous lequel il signe ses travaux littéraires, ses récits et scénarios ; et Mateo Blanco, qui est son nom de baptême, sous lequel il vit et signe les films qu'il dirige. Après l'accident, Mateo Blanco devient, Harry Caine. Dans la mesure où il ne peut plus diriger de films, il préfère survivre avec l'idée que Mateo Blanco est mort avec Lena dans l'accident.
Désormais, Harry Caine vit grâce aux scénarios qu'il écrit et à l'aide de son ancienne et fidèle directrice de production, Judit García, et du fils de celle-ci, Diego. Harry est un aveugle très actif et attractif qui a développé tous ses autres sens pour jouir de la vie, sur fond d'ironie et dans une amnésie qu'il s'est imposé. Il a effacé de sa biographie tout ce qui est arrivé quatorze ans auparavant. Il ne veut plus en parler et de toute façon, le monde a eu vite fait d'oublier Mateo Blanco. Mais, une nuit, Diego a un accident et Harry s'occupe du garçon. Durant les longues nuits où Harry veille sur lui (sa mère, Judith, se trouve loin de Madrid et ils décident de ne rien lui dire, pour ne pas l'inquiéter), il lui fait le récit de sa propre histoire, pour le distraire, comme un père dirait un conte à un enfant pour l'endormir. C'est le pouvoir hypnotique de la fiction qui, dans ce cas, est un douloureux récit autobiographique.


Dans ce film composite s'impose une drôle de figure centrale : Mateo, le cinéaste, incarné par Lluís Homar, déjà vu dans La Mauvaise Education, qui s'obstine à remonter les images tournées, jadis, avec celle qu'il aimait. La faible intensité de l'acteur, Lluis Homar, déséquilibre profondément le film. On a du mal à croire à Mateo Blanco, tant en amant qu'en tant qu’artiste. Un personnage dont on cherche la clé : aveugle mais voyant à sa façon, victime et manipulateur, habile mécanicien des récits qu'il fabrique... Cependant, malgré cette imperfection, Etreintes brisées est parcouru par une émotion constante. Elle tient d'abord à la beauté du personnage de Lena et à son interprète. L'autre raison d'être ému par Etreintes brisées, c'est la sincérité de la peine du cinéaste, qui redoute de ne plus arriver à tourner. Autoportrait fantasmé d'Almodóvar lui-même ? D'une richesse presque déroutante, imbriquant étroitement, jusqu'au vertige, le cinéma et la vie, Etreintes brisées n'atteint pas la plénitude de Tout sur ma mère ou de Parle avec elle, mais résiste, garde son mystère, trouble autant qu'il séduit. Il tiendra une place singulière dans une filmographie éblouissante.

Catherine Delmotte, 6A